3 questions postpandémie à Sabri Bendimérad et Anne-Charlotte Depincé
Les confinements ont bouleversé le statut de l’image dans la formation en architecture. Pourquoi ? Ensemble, Sabri Bendimérad, maître de conférence et architecte, et Anne-Charlotte Depincé maître de conférences à l’ENSA de Paris-Belleville répondent aux questions de Pascal Dreyer. Ils nous livrent ainsi un aperçu des enseignements de l’Annuel 2019-2021, recueil qui concentre les recherches de l’école et qu’ils ont coordonné. On y interroge l’image en tant que « médium principal de nos échanges, sous-tendant la conception et la représentation de l’architecture ».
Les images d’architecture publiées ont-elles toutes le même statut dans l’Annuel et dans la formation ?
Il y a effectivement des différences de statut. Selon les contextes de production et l’intentionnalité qu’elles sous-tendent. Les images d’architecture publiées sont tour à tour analytiques, projectuelles, introspectives, rétrospectives, questionnantes, promotionnelles et dérangeantes… En fait, nous avons voulu montrer que l’image « traverse » la formation dispensée et les recherches menées à l’école. Former à la lecture de l’image d’architecture comme à sa fabrication est ce qu’il y a de plus transversal dans la formation des étudiants d’une école d’architecture.
Vous évoquez l’effet de la pandémie sur l’image. Les confinements ne l’auraient pas tant réifiée que « fragmentée ». Pourquoi ce terme ?
L’isolement subi par nos étudiants est sans précédent dans l’histoire de la transmission et de l’enseignement. Ils en ont été les témoins du confinement qu’ils ont vécu. Et dont ils ont restitué très justement l’expérience à travers leurs travaux. Nous avons souhaité que ce numéro montre ce travail. Soudainement, nous avons été obligés, contraints, de réarticuler nos modes de communication. Avant, dans le processus de formation à l’architecture, l’image était commentée et défendue. Elle était articulée à un discours entre un récepteur, l’enseignant et un émetteur, l’étudiant, qui étaient en interaction. La dimension non verbale était également très présente. Il a fallu réinventer un mode de transaction des idées à distance. Par exemple, il n’était plus possible de montrer des maquettes, de les toucher, de les saisir… La dimension tactile permettait aussi d’unifier les points de vues sur l’objet projeté. C’est pour cela que nous parlons de fragmentation.
Quel serait aujourd’hui le régime idéal de l’image d’architecture dans la formation ?
Il nous parait essentiel dans la formation de donner aux architectes les outils qui permettent de projeter l’espace dans lequel la société pourra vivre harmonieusement et durablement demain. L’image n’est pas une fin en soi. C’est le moyen avec lequel l’architecture peut participer, mesurer et anticiper la transformation du monde. Dans un monde inondé d’images, nous pensons qu’il est fondamental de se confronter à cette profusion de manière positive et constructive, de la détourner pour lui donner du sens. Comme le disait Gregotti dans le « territoire de l’architecture« , l’architecte ne produit pas des maisons, il produit des projets de maisons. L’image permet d’articuler le récit partagé de la transformation de la société.
Propos recueillis par Pascal Dreyer.
L’Annuel est disponible (prix 30 €) en ligne : éditions Zeug.