La maison, le paysage et l’amitié comme espaces de vie
Grand témoin des Assises de l’habitat Leroy Merlin en 2011
Grand témoin des premières Assises de l’habitat Leroy Merlin France en 2011, Paul Chemetov, architecte, y avait apporté une parole libre sur le thème Inventer la maison de demain : cette dernière était selon lui, déjà là, déjà bâtie, modifiée et modifiable. Les habitants actuels pouvaient y trouver du bien-être, du confort, devaient « avoir la possibilité d’y planter leur drapeau », en changer la destination, etc. Même si ceux pour qui elle avait été conçue et construite étaient morts depuis longtemps, tout comme leurs modes de vie avaient disparus.
La Maison comme lieu de transformation continue
Dans un entretien donné en 2013 à Leroy Merlin Source, il affirmait ainsi : « Tous les architectes citent telle parole d’un philosophe allemand : « l’homme habite poétiquement ». Cela veut dire, que l’homme habite créativement, de façon inventive. Il faut accepter que ce thème de notre maison, de notre maison commune, de notre maison dans laquelle nous sommes tous, soit lié à la transformation et aux modifications incessantes. Je travaille dans une maison que j’ai faite, transformée. J’habite dans un immeuble que j’ai surélevé. Et je pars en vacances dans des maisons que j’ai faites. Ces maisons ont été pour moi non seulement des ateliers mais des révélateurs de bien des choses. » La leçon de Paul Chemetov n’est-elle pas que la maison commune, la Terre, et notre maison à nous, notre logis, font corps, parfois se confondent et que nous devons les habiter de manière égale, avec le même soin, la même attention ? Mais en tant qu’architecte il savait aussi prendre soin des habitants, s’engager avec eux dans une relation qu’il définissait comme « une relation de couple » destinée à se terminer à la livraison du chantier, ou parfois même plus tôt, tant de nombreux affects y étaient engagés de part et d’autre.
L’Exposition « Chacun sa maison »
Entre temps, Paul Chemetov avait sollicité Leroy Merlin Source pour accompagner la parution chez Skira du catalogue de l’exposition restituant à la Cité de l’architecture son travail sur seize maisons individuelles et ateliers : « Chacun sa maison, Paul Chemetov » (13/09 – 12/11 2012). Dans le texte rédigé pour l’ouvrage, « L’amitié instaure l’espace de la maison », Marie-Reine Coudsi, alors directrice de l’éditorial de Leroy Merlin et responsable de Leroy Merlin Source, saluait ainsi le travail de Paul Chemetov. La création d’une « maison conjugue à la fois des rêves d’enfants et des besoins d’adultes, elle est au plus près d’un projet de vie et de son évolution, elle s’inscrit dans un environnement. Le caractère exceptionnel de Chacun sa maison, tient au fait que l’ouvrage donne à voir la réponse sensible de Paul Chemetov aux commandes particulières qui lui sont faites. Les monographies s’ouvrent souvent par le simple croquis d’un paysage, lieu futur de construction de la maison. Non pas une photo mais la traduction picturale du paysage. Le lecteur se promène dans un paysage de lignes et d’espaces qui viennent nourrir son imagination et son désir de maison. Les premières esquisses de la maison, vivantes et souples, sont encore une invitation à la rêverie même si elles témoignent d’une première inscription dans la matière concrète du paysage. » À cette occasion nous avions réalisé avec l’architecte un entretien qui n’a rien perdu de son actualité en ces temps de changement climatique et de crise énergétique.
L’héritage architectural de Paul Chemetov
Architecte des banlieues rouges de Paris, Paul Chemetov a ancré dans l’imaginaire des Français la puissance de l’administration d’État à travers l’emblématique ministère des finances de Paris-Bercy, bâtiment aux allures de pont habité conçu avec l’architecte chilien Borja Huidobro. Pleinement humaine, son architecture témoigne de sa conscience de l’importance du temps et de la mémoire pour échapper aux pièges du présentisme. Il affirmait ainsi dans la préface d’un recueil d’articles (Un architecte dans le siècle, éditions du Moniteur, 2002) la communauté de destin de l’architecture et de la politique : « La politique a ceci d’identique à l’architecture : elle questionne le temps. Quoi du passé, quoi du présent, quoi du futur ? Sans un rapport distancié au passé, et sans projection de ce qui est à venir, il n’y a pas de présent possible, mais un immédiat, qui nie la mise en partage entre tous de la mémoire de la société. »
Pascal Dreyer, 26 juin 2024