Santé & bien-être Santé environnementale Pour un intérieur sain… lorsque l’enfant paraît
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Pour un intérieur sain... lorsque l'enfant paraît

Entretien avec Lara Mang-Joubert, WECF France


Entretien

Wecf – Women in Europe for a Common Future, est une ONG née en 1994 pour faire entendre la voix des femmes sur les questions d’environnement et de développement durable. Wecf France a été lancé en 2008, avec en fer de lance le projet Nesting (littéralement « nidification »). Il s’agit d’ateliers proposés aux parents et aux professionnels de la petite enfance sur la prévention des risques de pollution intérieure dans la chambre de l’enfant, et par extension dans le logement. Leroy Merlin Source et WECF ont réalisé un chantier de recherche sur l’impact des ateliers nesting sur le comportement des parents et professionnels.

L’arrivée d’un enfant est un temps fort de mobilisation pour les parents : il s’agit souvent de refaire une pièce ou de déménager, de prévoir un environnement sain pour le bébé. C’est donc un moment privilégié pour se questionner sur les risques de pollution intérieure de sa future chambre, et par extension de l’ensemble du logement. L’association Wecf propose des ateliers Nesting aux familles ainsi qu’aux professionnels de la petite enfance ; des ateliers concrets et interactifs, pour prendre conscience en petits groupes des risques de pollution intérieure et proposer des solutions concrètes. L’objectif est de privilégier des actions préventives réalisables par le grand public face à tous les risques aujourd’hui connus : pollutions chimiques et physiques de l’air intérieur, polluants présents dans l’aménagement intérieur, le mobilier, dans les produits de consommation courante. L’ambition est de permettre aux parents-consommateurs-bricoleurs de s’approprier ce sujet a priori fort anxiogène, de les aider dans leurs choix d’aménagements ou de produits nouveaux, plus sains, même s’ils viennent parfois contredire leurs habitudes.

Wecf fait constamment évoluer ses ateliers pour renforcer leur impact auprès des participants ; l’association a souhaité mener une évaluation globale de ces ateliers et de leur pertinence, pour mieux identifier les modalités de changement des pratiques des parents, la pérennité des apprentissages réalisés au cours des ateliers, l’appropriation par les membres de la famille, la gestion des contradictions par le porteur du changement… et s’appuyer sur une telle étude pour renforcer la formation de ses animatrices. Ce travail a été amorcé par l’une d’entre elles, Lara Mang-Joubert, qui est également consultante et formatrice sur les enjeux éthiques du changement. Nous l’avons interrogée sur cette évolution

 

Comment avez-vous été amenée à animer les ateliers Nesting de Wecf ?

 Je suis chimiste et biologiste de formation initiale. Je me suis ensuite investie dans des associations écologistes et j’ai vraiment trouvé ma voie en faisant le master Ethique et Développement Durable de l’Université Lyon III, avec une prédilection pour les enjeux éthiques de l’accompagnement au changement. Je suis d’ailleurs frappée par la demande explicite des décideurs, élus ou associatifs, qui est de «  faire changer la population »… or, paradoxalement, plus on impose le changement, et plus on réveille des freins psychologiques !

J’ai souhaité appliquer mes connaissances en santé environnement à la question des changements de pratiques personnelles, et je suis donc devenue animatrice Nesting depuis deux ans. Pour la sensibilisation à la santé dans le logement, l’arrivée d’un enfant est une excellente porte d’entrée. C’est un moment où on est prêt à changer, chacun veut le meilleur pour son enfant. Il y a une vraie soif de connaissances, avant de repeindre, de changer les meubles, voire de déménager. Mais la fenêtre est assez étroite : peu après la naissance, on est très mobilisé par bien d’autres choses ! En termes de moteurs et de freins au changement, c’est un vrai terrain d’expérience.

 

Comment les ateliers sont-ils construits et comment ont-ils évolué ?

 Au départ, nous étions très empreintes de la formation que nous avions reçue, de son contenu(1) : nous voulions donc faire passer un maximum d’informations, de chiffres, de données. Ainsi j’ai  vécu les ateliers d’abord comme un temps de transfert de connaissances, de vulgarisation scientifique. Mais progressivement, en travaillant sur l’idée d’une co-construction plutôt que d’une information descendante, j’ai adopté une posture plus participative ; cela donne de meilleurs résultats. J’ai le sentiment que l’appropriation par les personnes est plus importante quand on les amène à chercher et à trouver par elles-mêmes des réponses. Il faut que les animatrices aient une vision claire de cet enjeu : elles ne sont pas dans une position d’expert qui délivre une information, mais dans celle d’un passeur qui donne confiance aux gens, leur montre un paysage et leur apprend à s’y repérer, à chercher eux-mêmes l’information utile.

 

La pollution dans le logement est-il un sujet délicat à mettre en discussion ?

 Sur cette question du logement, de sa qualité, nous devons être conscients d’une difficulté particulière : on touche à un sujet intime, non à une thématique globale comme la santé ou l’écologie. Dans nos représentations mentales, le foyer apparaît comme un lieu sûr, une bulle où rien ne peut nous atteindre. Or nous devons faire passer le message qu’au contraire, c’est dans ce lieu a priori sain que se trouvent les plus grands risques de pollution pour l’enfant. Et peut-être va-t-il falloir changer certains de nos usages dans notre intimité. Pour les animatrices Nesting, c’est un défi car on touche aux habitudes familiales et à la transmission de mère en fille des savoir-faire domestiques et des goûts identitaires ! Si par exemple on associe la perception d’un intérieur sain à tel parfum, il est très difficile de concevoir de changer cette ambiance. Donc, face à ces implications émotionnelles, nous devons nous situer aussi sur le plan de l’émotion et du plaisir et pas seulement sur le plan du risque et de l’argumentaire rationnel.

 

Comment susciter la curiosité, le questionnement des personnes en atelier ?

La première chose, c’est de les ramener à leur lieu de vie, de les faire réfléchir à leur propre logement, à la représentation qu’elles en ont. On les fait dessiner leur « chez-eux », notamment ce qu’elles pensent être l’endroit le plus sain et l’endroit le plus malsain de leur intérieur. Le dessin va servir de base au cours de l’atelier, on s’y reportera pour constater les évolutions. On s’ancre donc dans les questionnements personnels, et non dans la théorie scientifique. Ensuite, nous présentons toute une série d’objets sur la table, produits, flacons, échantillons. On les touche, on les prend en main, on se questionne sur les risques qu’ils peuvent présenter, on parle entre voisins d’atelier : pourquoi sont-ils là, sont-ils sains ou non… Nous utilisons le côté ludique de l’enquête entre pairs, nous nous efforçons d’éveiller la créativité, à travers le dessin, le toucher…

La dimension collective est essentielle : l’immersion dans le groupe, le sentiment d’être dans une dynamique partagée de questionnement et de changement ont des effets très stimulants. Les témoignages apportés par les uns et les autres montrent à chacun qu’il existe d’autres façons de faire, qui sont savoureuses, agréables, à la mode… Cela peut  dédramatiser ou faciliter un changement d’habitude, une transition vers un nouveau produit, une nouvelle façon de voir les choses. L’objectif, c’est que chacun se dise non pas « je me coupe de » mais « je transforme » mes manières de faire.

En trois ans, j’ai constaté une progression de la prise de conscience des enjeux d’un habitat sain, et une technicisation du public, de plus en plus intéressé et informé. En fin d’atelier, nous donnons les données les plus chiffrées et techniques, et proposons une riche documentation papier et numérique.

 

Ces ateliers ont-ils une fonction d’agora, de foire aux questions ?

 C’est un peu une auberge espagnole, on n’obtiendra des réponses qu’aux questions qu’on aura posées. On ne peut tout voir, tout aborder ; certaines personnes repartent frustrées. Mais le site Internet est là pour prendre le relais, avec une mine de fiches techniques, de conseils. Et nous, animatrices, veillons à une possibilité de suivi : on répond par courriel à des questions concrètes, du type choix de literie, de produits… Et on renvoie vers des adresses physiques, des associations ou des acteurs locaux, magasins, structures de services.

 

A travers le vécu des animatrices, peut-on dégager des tendances sur l’impact des ateliers ?

 Une donnée est évidente : la plupart des participants, même s’ils étaient sensibilisés au sujet, ressentent un choc ! C’est une prise de conscience que la question de l’intérieur sain est complexe, difficile, moins rose que ce que l’on croyait : il va falloir se responsabiliser ! En tant qu’animatrice, on s’efforce d’adoucir ce choc et de faire en sorte qu’il soit positif et vécu comme un empowerment (2) et non comme une souffrance ou une angoisse. Et c’est le cas, au regard des retours de questionnaire dont nous disposons. Nous avons en effet mené une pré-enquête, pour faire une photographie du ressenti des participants aux ateliers, grâce à un questionnaire distribué en sortie. Sur un petit échantillon, environ 50 réponses, nous mesurons un retour de satisfaction considérable et un souhait affiché de poursuivre dans cette dynamique.

A ce stade, on peut donc simplement mesurer la satisfaction face à l’information reçue. Quant au passage à l’action ensuite, tout dépend de l’ampleur du changement évoqué et de l’état d’esprit de chacun face au changement. C’est sans doute plus facile de changer de produits d’entretien ou de peinture que de se passer du wifi par exemple : chaque participant va s’approprier à son rythme ces différents sujets, avec des vitesses différentes d’évolution selon le geste ou le produit concerné. Il est sans doute illusoire de vouloir mesurer l’impact de l’atelier sur un changement donné. On va plutôt faire évoluer la vision que la personne a construite de son environnement, ce qui correspondrait à une analyse multicritères.

Nous souhaitons mener une plus vaste étude sur ces évolutions à moyen ou long terme, sur la manière dont les personnes sont passées à l’action ou au contraire se sont bloquées par crainte du changement. Et en parallèle, nous voudrions tirer parti de l’expérience accumulée des animatrices pour enrichir leur formation dans les dimensions sociologique et psychologique. C’est un projet de recherche action participative avec les animatrices pour construire de nouveaux outils, mettre au point un guide d’animation, une grille de bonnes pratiques, de conseils, recommandations et mises en garde.

 

  1. (1) La formation des animatrices est assurée par Nita Chaudhuri, docteur en santé environnement, canadienne, à l’origine du concept des ateliers Nesting, et Philippe Perrin, éco-infirmier
  2. (2) empowerment : autonomisation ou capacitation (Québec), capacité pour la personne à prendre en main ses choix de manière éclairée et autonome

Denis Bernadet – Août 2011

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