Architecture & urbanisme Une vie après la construction

Une vie après la construction

Entretien avec François Torrecilla, architecte et correspondant LEROY MERLIN Source


Entretien

Bien des particuliers et des collectivités l’oublient mais il y a une vie après la construction. Maintenance des bâtiments, évolution des matériaux et des usages, les architectes tiennent compte de plus en plus systématiquement de l’avenir de leurs constructions. En intégrant cette préoccupation majeure dans celle de l’avenir de la planète.

François Torrecilla est architecte et enseignant à l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Lyon (Ensal). En 2007, il fait le le point ci sur les enjeux et ses convictions en matière d’environnement et d’énergie dans l’architecture.

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Leroy Merlin Source (LMS) : On entend beaucoup parler de HQE aujourd’hui. De quoi s’agit-il exactement ?

François Torrecilla : La démarche HQE est née des débats internationaux qui ont fait suite aux sommets de Rio, Johannesburg et Kyoto. Ces sommets ont alerté l’opinion internationale sur les dommages irréversibles causés à notre planète par les activités humaines. La HQE est la réponse française à cette question cruciale. Le grand public ignore encore trop souvent que le bâtiment est l’un des trois domaines les plus consommateurs de ressources naturelles avec le transport et les industries. 40% des énergies fossiles et renouvelables sont consacrés à la construction et ensuite au chauffage. Notre habitat est énergétivore de multiples façons et tout au long de sa vie.

La démarche HQE permet aux architectes de concevoir des projets puis des bâtiments en réduisant la consommation d’énergie et en apportant un plus grand confort à l’usager. Aujourd’hui encore ce sont les pays scandinaves, l’Allemagne et l’Angleterre qui sont le plus en avance dans la prise en compte de notre environnement. Leur système d’évaluation de la consommation d’énergie des bâtiments va jusqu’à intégrer leur destruction. La France est encore loin de cette prise de conscience active et responsable.

LMS : Quels sont les liens entre HQE et développement durable ?

François Torrecilla : Je crois que l’on peut dire qu’il s’agit de la même chose. La démarche HQE est l’application à l’architecture, à la construction et à la maintenance des bâtiments des principes du développement durable. Mais il faut encore aller plus loin. A l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Lyon, nous parlons de « développement durable et équitable » mais aussi de « décroissance soutenable ». L’homme doit prendre conscience qu’il scie la branche sur laquelle il est assis. Dans l’expression « développement durable » le modèle économique et social reste celui du développement industriel. Il faut aujourd’hui changer de perspective. Avec l’expression « décroissance soutenable », nous affirmons que le progrès technique et scientifique est toujours possible mais sur un horizon différent : celui de l’économie systématique des moyens employés. Cette différence est fondamentale.

LMS : Vous concevez et construisez des logements sociaux qualitatifs. Quel rôle joue le politique aujourd’hui en France sur ces questions ?

François Torrecilla : Sans l’intervention des politiques on ne peut pas agir. Or, nous l’avons encore constaté récemment, le politique suit de très près les injonctions de l’opinion publique. Si on parle tant de développement durable aujourd’hui ce n’est pas grâce aux politiques mais grâce aux opinions publiques nationales et internationale qui se sont mobilisées sans relâche. Il faut donc maintenir une pression constante sur l’échelon politique afin qu’il prenne les dispositions nécessaires. Car c’est avec des règlementations plus contraignantes que l’on pourra contraindre les professionnels, les collectivités et les particuliers encore réticents pour s’engager dans la démarche HQE.

LMS : Que diriez-vous aujourd’hui aux élus politiques en charge des dossiers de construction ?

François Torrecilla : J’ai envie de leur dire de commencer à penser globalement plutôt que de raisonner à court terme. Décider de créer un programme de logements sociaux doit intégrer toutes les problématiques de HQE, de la conception du projet à sa destruction dans 30 ou 40 ans. Le choix des matériaux peut entraîner un surcoût au départ. Il est environ de 8 à 15% au moment de l’investissement. Mais il sera progressivement résorbé dans la maintenance du bâtiment, dans les économies de chauffage réalisées, dans la qualité de vie des personnes (et donc dans le soin qu’elle prendront de ce lieu) et enfin au moment de sa destruction lors du recyclage des matériaux de construction. Les élus ont en charge le présent et le futur. Ils pensent encore trop dans un cadre budgétaire limité. Ils doivent comprendre que la démarche HQE anticipe des contraintes qu’ils auront plus tard. Mais qu’elle leur apporte aussi une vision renouvelée des problématiques de construction et d’habitat. En France, on parle beaucoup mais on n’agit pas vraiment.

LMS : Les Français ont un idéal : la maison indépendante. Cet idéal est-il compatible avec la prise en compte de l’environnement et les économies d’énergies ?

François Torrecilla : Cet idéal comporte plusieurs facettes. Il y a tout d’abord la superficie. A moins de 1000 m2 de terrain, les personnes qui souhaitent bâtir n’ont pas l’impression d’être propriétaires. Ensuite il y a le désir d’être sans vis-à-vis, sans regard des voisins sur sa vie et ses manières d’être. Pourtant avec la croissance démographique mondiale, l’espace devient rare. Nous allons donc devoir réapprendre à le partager avec d’autres. Notre travail d’architecte agit sur tous ses plans. Nous écoutons le désir d’indépendance et de vie privée. Nous intégrons les contraintes de l’environnement : moins d’espace et plus de respect pour les ressources naturelles. Nous essayons de repenser les habitats jumelés, groupés ou superposés qui garantissent à chacun un véritable espace privé.

Mais il faut aussi tenir compte de la disparition des énergies fossiles et de certaines denrées précieuses comme l’eau. Construire aujourd’hui une piscine individuelle est une hérésie. Dans les programmes de lotissements, les propriétaires doivent apprendre à mutualiser les équipements techniques et de loisirs. Ils ont tout à y gagner : ils consommeront moins d’eau (et l’équipement leur coûtera moins cher) et ils seront plus économes. Ils auront aussi une piscine plus grande. De la même façon, la construction des garages est aujourd’hui un impératif. C’est pourtant là aussi une hérésie. Dans la pratique, le garage est souvent utilisé comme une pièce de plus qui permet de mieux vivre dans un habitat restreint. Je préconise la construction d’auvents pour protéger les voitures. Nous pourrons ainsi construire un habitat dont les surfaces habitables sont plus importantes. Notamment la cuisine ou la salle de bains. C’est là que les gens vivent et non dans leur garage !

LMS : Où se situe pour vous l’urgence ?

François Torrecilla : Il y a une véritable urgence à acquérir une culture du respect de l’environnement pour tous les acteurs concernés. Les professionnels bien sûr, mais aussi les politiques et les citoyens. Nous devons être moins égoïstes et savoir faire preuve de bon sens. La démarche HQE rentre dans les écoles d’architecture mais n’est pas encore une manière de penser transversale qui modifie en profondeur les pratiques. Le grand public a encore beaucoup à apprendre pour éviter de faire des bêtises dans ses aménagements personnels. Et la réglementation doit encore s’adapter aux enjeux. Nos voisins allemands peuvent récupérer l’eau de pluie. En France c’est interdit. L’eau de pluie rejoint les canalisations et se pollue ou, mieux encore, traverse des terres remplies de pesticides. Enfin, je pense qu’il y a urgence à prendre le temps de penser et d’analyser pour apporter les meilleures réponses. Mais ce temps, ni les particuliers ni les collectivités ne nous le donnent.

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