Autonomie Vieillesse La Maison des Babayagas, les « sorcières de Montreuil »

La Maison des Babayagas, les "sorcières de Montreuil"

Entretien avec deux fondatrices du projet de La Maison des Balayagas


Entretien

Avec qui voudrons-nous vivre lorsque nous serons âgés et seuls, les exigences de la société ayant éloignés les proches du premier cercle ? Comment organiserons-nous notre habitat lorsque enfants et petits-enfants seront élevés et parents à leur tour ? De quel espace souhaiterons-nous disposer afin d’en profiter pleinement sans le subir ? Quel budget nous permettra de continuer à vivre comme nous le voulons ? Voudrons-nous toujours vivre comme nous avons vécus où le vieillissement sera-t-il l’occasion d’envisager à nouveaux frais une période de vie de plus de trente ans ?

Toutes ces questions, de plus en plus de seniors et de personnes vieillissantes se les posent. Thérèse Clerc, Monique Bragard et Suzanne Gouëffic apportent à la question cruciale du « où vivre dans son grand âge » une réponse pleine d’imagination, de force et d’inconnues : la Maison des Babayagas de Montreuil. Une maison pas encore sortie de terre mais qui a déjà fait couler beaucoup d’encre, qui soulève des débats passionnés et fait des émules dans plusieurs villes de France.

Propos recueillis par Pascal Dreyer.
Octobre 2006

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Comment vous est venue l’idée de la maison des Babayagas ?

Thérèse Clerc : Ce projet s’ancre dans ma vie personnelle. J’ai longuement accompagné ma mère grabataire à une époque où mes propres enfants étaient en mouvance conjugale ! Puis il m’a fallu m’occuper seule de tout ce qui constitue l’après de la disparition d’un proche : vider un appartement, distribuer les souvenirs, trier et jeter. Au terme de cette étape je me suis dit que jamais je n’imposerai le fardeau de ma vieillesse et de ma disparition à mes enfants. J’ai rédigé en quelques heures la matrice du projet des Babayagas. Mon idée était simple : la vieillesse sera moins lourde à porter si nous sommes plusieurs dans la même situation. Puis j’ai enfermé ce projet dans un tiroir. C’est lorsque j’ai rencontré Monique et Suzanne qui venaient de traverser la même étape qu’elles m’ont dit : nous allons faire vivre ce projet car nous y croyons.

Qu’est-ce que la maison des Babayagas de Montreuil aujourd’hui ?

maison babayagas 1Monique Bragard : Nous avons lancé le projet il y a dix ans. Nous avions d’abord imaginé être maître d’œuvre d’un ensemble de 30 appartements, construit sur un terrain de 3000m² environ à la périphérie de la ville. Finalement nous avons renoncé à cette solution, la mairie nous ayant proposé une parcelle de 600m² en centre ville – décision qui a été votée par le Conseil Municipal en septembre 2003 – sur laquelle l’OPHM (Office Public de l’Habitat de Montreuillois) a accepté de construire la Maison des Babayagas. Le projet de construction qui démarre en janvier prochain est un ensemble de 19 studios ainsi que des parties communes dédiées à la vie sociale et culturelle des résidentes et des acteurs de la ville. Nous avons voulu une maison ouverte sur le monde et accueillant le monde.

Quels sont les acteurs décisionnaires du projet et comment s’articulent-ils entre eux ?

Thérèse Clerc : Il y a trois acteurs principaux. L’association « La Maison des Babayagas » qui a écrit et porte le projet de la maison ; l’OPHM qui construit l’immeuble, ce qui nous impose certains critères d’accès à ces logements ; enfin il y a le centre communal d’action social de Montreuil (CCAS) qui joue le rôle d’interface entre l’association et l’OPHM, et, notamment présentera la liste de personnes pouvant prétendre à venir vivre dans la Maison des Babayagas. Lorsque la Maison des Babayagas sera construite et fonctionnera, chaque résidente versera son loyer à l’OPHM. Le CCAS sera le garant de la bonne application de la Charte de la Maison. L’association gèrera la vie quotidienne au sein de la maison ainsi que son projet social et culturel. C’est elle qui est locataire de l’espace d’activités du rez-de-chaussée auprès de l’OPHM.

Pourquoi avoir pris le parti de la non mixité à la différence d’autres projets de Maison des Babayagas ?

Thérèse Clerc : Il ne s’agit pas d’évincer les hommes mais de prendre acte de la réalité. Dans notre tranche d’âge, si nous avions opté pour la mixité, il n’y aurait que deux hommes pour 17 femmes. C’est dérisoire ! Mais au-delà de cette réalité démographique, il y a notre souhait de la non mixité pour cette étape de la vie, un choix qui tient compte de nos parcours. Nous avons eu pour la plupart des vies de famille riches et des conjoints. Dans cette dernière période de vie, nous choisissons de vivre ensemble, entre femmes. Cela n’empêchera pas les petits amis de celles qui en auront de venir dormir à la Maison des Babayagas !

Comment avez-vous imaginé et conçu l’espace architectural de la maison des Babayagas ?

maison babayagas 2 plansMonique Bragard / Thérèse Clerc : Ce qui nous a guidé c’est une certaine idée du « vivre ensemble ». Nos engagements politiques passés et présents, nos convictions sociales et culturelles ont évidemment été déterminants. Ce sont eux qui ont façonné notre désir de voir la maison ouverte sur l’extérieur. Il y aura au rez-de-chaussée un espace, réservé le matin aux résidentes et l’après-midi aux activités ouvertes sur le quartier. Mais nous avons aussi longuement réfléchi à ce dont nous avions besoin en tant que collectif installé à demeure.
Evidemment, au début du projet nous avons rêvé de disposer chacune d’un deux pièces (afin de séparer espace privé et espace public). Mais cela n’a pas été possible. Chaque studio équipé n’a qu’une superficie de 35 m2 avec balcon toujours exposé au sud. Chaque étage disposera d’une salle d’activité ou de service. Au quatrième étage, un vaste atelier permettra à chacune de poursuivre sa passion créative. Enfin, au rez-de-chaussée, outre les salles d’activités ouvertes sur le quartier, nous aurons également un espace bibliothèque et un spa, ouvrant sur le jardin.

Un Spa ?!

Thérèse Clerc : Nous souhaitions au départ un petit bassin de nage car notre bien-être physique est essentiel pour continuer à nous sentir pleinement vivantes. Mais cela n’était guère envisageable pour l’OPHM. Nous avons donc décidé de chercher des fonds (que nous avons obtenus auprès de mécènes) afin de construire un Spa. Il ne sera pas réservé qu’aux résidentes mais sera ouvert aux femmes du quartier sous certaines conditions et à certains horaires.

Quels aménagements facilitants avez-vous prévus dans les studios ?

Thérèse Clerc : Pour le moment sont prévus des aménagements classiques : application des normes d’accessibilité, salles de bains avec douche à l’italienne, etc.. Nous avons encore à travailler avec l’architecte et d’autres spécialistes de ce type d’aménagements. Nous avons des attentes en matière d’automatismes (notamment en ce qui concerne la lumière pour sécuriser les déplacements des personnes dans le bâtiment) et de domotique. Mais nous ne souhaitons pas stigmatiser le bâtiment ou les personnes. La Maison des Babayagas n’est pas un projet social pour personnes vieillissantes, encore moins un projet gérontologique. Elle doit être belle et manifester que la vieillesse n’est pas un âge terrible.

L’entrée dans la maison se fait actuellement sur cooptation. Comment vous-mêmes et les autres femmes déjà engagées dans le projet imaginent-elles passer de leur appartement ou de leur maison à un studio de 35 m² pour y finir leurs jours ?

Thérèse Clerc : J’ai 79 ans et je vis dans 55m². Je considère que mon entrée dans la Maison des Babayagas correspond à une discipline de vie qu’exige ma situation actuelle. Mais je me rends bien compte que même dans si peu d’espace j’ai beaucoup accumulé de choses. Je vais donc donner à mes enfants et à mes petits-enfants ce que je ne pourrai ni ne souhaite garder dans mon studio. Et puis je vais faire la part entre le nécessaire et le superflu. Et le superflu dont j’ai envie n’est pas encombrant, simplement un peu coûteux : soins d’esthétique, massage, pédicure, etc. Voilà les choses à la fois nécessaires et superflues à mon âge.

Monique Bragard : J’ai 75 ans et je vis dans une maison de 200m². Je sais que si je vais pouvoir me détacher facilement des meubles et des objets, il me sera en revanche plus difficile de renoncer à ce qui fait ma joie : la création. J’ai la chance de disposer d’un vaste atelier et je suis très attachée à mes outils de travail et de rangement. Une partie de ce mobilier va servir à équiper l’atelier de la Maison des Babayagas. Il ne sera donc pas perdu. Mais ce qui me pose le plus de difficulté, c’est l’ensemble de tableaux que j’ai peints et qui ne sont pas vendus. Je n’imagine ni m’en séparer ni les entreposer dans la maison des Babayagas. Que vais-je en faire ? Je ne sais pas. C’est un point encore difficile et douloureux pour moi. Mais que je vais résoudre !

Thérèse Clerc : Bien des femmes qui souhaitent nous rejoindre sont seules ou ont vécu seules. Ces femmes vivent déjà dans de petits appartements à Paris ou dans la région parisienne. Le renoncement, même s’il est réel pour chacune d’entre elles, ne sera pas le même pour toutes. Le projet nous invite à repenser le sens de la propriété, le détachement et la transmission des biens et des savoirs.

Comment le collectif va-t-il accompagner les modifications de capacités physiques ou psychiques des résidentes ?

Monique Bragard : Le projet de la Maison des Babayagas de Montreuil traduit notre volonté de pouvoir rester chez soi le plus longtemps possible, mais dans le cadre d’une dynamique collective. En entrant dans la maison, chacune d’entre nous s’engage à rester attentive aux autres. La limite de l’exercice réside dans le déclenchement de maladies dégénératives ou de maladies mentales pour lesquelles la maison ne sera pas adaptée. Chaque résidente doit désigner une personne de confiance extérieure à la maison. C’est elle que le collectif appellera en cas de difficulté ou de décision à prendre en cas d’incapacités. Même si la Maison des Babayagas n’est pas un projet gérontologique, nous avons prévu au rez-de-chaussée un appartement de passage qui pourra accueillir les familles ou les amis de passage des résidentes. Cet appartement pourra aussi héberger un professionnel en cas de besoin. Actuellement, les femmes inscrites sur la liste d’attente ont entre 58 et 86 ans et sont en forme. A terme, nous pensons accueillir plutôt des femmes de 70 à 80 ans.

Quatre fondamentaux soutiennent les projets de Maisons des Babayagas, qu’elles que soient les personnes qui y résident. Toutes les Maisons des Babayagas sont :
1.    Autogérées : aucune tutelle publique n’intervient et il n’y a pas de directeur. Le collectif des habitants est souverain.
2.    Solidaires : l’habitat collectif et le projet qui le soutient aident à bien vieillir ensemble et à mourir dans la vie collective.
3.    Citoyennes : les maisons sont ouvertes sur leur quartier et sur leur ville. Grâce à de grands espaces aménagés au rez-de-chaussée, les maisons des Babayagas peuvent accueillir les activités sociale et culturelles des associations de leur quartier ou de leur ville.
4.    Ecologiques : la Maison des Babayagas de Montreuil va être bâtie avec une exigence d’économie d’énergie et de respect de l’environnement. Dans son fonctionnement quotidien, les résidents veillent particulièrement à une gestion rigoureuse de l’eau, des énergies et des déchets.

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