Architecture & urbanisme Urbanisme A la recherche de la bonne densité, entre intimité et urbanité

A la recherche de la bonne densité, entre intimité et urbanité

Interview de Sabri Bendimérad


Entretien

Sabri Bendimerad, architecte et correspondant Leroy Merlin Source a dirigé l’ouvrage collectif Habitat Pluriel – densité, urbanité, intimité publié par le Puca (Plan Urbanisme Construction Architecture), en 2010. Le Puca développe alors une recherche incitative sur le futur des villes à l’impératif du développement durable. L’ouvrage présente 9 travaux de recherche sur l’habitat individuel dense (HID).

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Comment définir l’habitat dense ?

Densité renvoie à de nombreuses significations et représentations. Jeune architecte, alors que j’essayais de convaincre un maire de l’intérêt d’une certaine densité pour requalifier un quartier, celui-ci m’a retourné qu’il y avait déjà assez de logements sociaux à cet endroit ! Par une sorte de raccourci incroyable, la densité devenait synonyme d’une concentration exagérée de logement social. Je me suis rendu compte ce jour là à quel point le terme était sujet aux crispations, et chargé de connotations négatives. Alors que pour nous, architectes-urbanistes, il signifiait aussi la fabrication de la ville, le voisinage accepté et la convivialité, l’occupation rationnelle du sol et la mixité sous toutes ses formes …
Mais un changement de représentation de la densité se dessine depuis une dizaine d’années, avec la montée en puissance du thème du développement durable. On a alors pointé du doigt un contre-modèle, parce qu’il n’est justement pas durable : la diffusion pavillonnaire, la maison insulaire, qui génère étalement urbain et mitage du territoire. L’ensemble du corps social prend conscience de l’intérêt de la densité, dans le développement urbain et la production de l’espace.
La densité, au fond, c’est d’abord un rapport entre deux choses. Elle peut mesurer le nombre d’habitants au km², le nombre de m² construits sur un terrain, le nombre d’événements sur un territoire… On peut construire des indicateurs à l’infini. On pourrait même prendre le bruit comme indicateur de la densité : ainsi le quartier de la Défense est un lieu de bâti très dense, mais avec très peu de bruit urbain… Voilà une expérience particulière de la densité ; elle est aussi une question de point de vue et de situation : elle convoque notre histoire personnelle, nos souvenirs, notre manière d’habiter…

Peut-on définir la densité comme une tension entre intimité et urbanité ?

J’aime bien l’idée de tension entre deux états de la ville : l’aspiration à vivre ensemble, et celle à vivre chez soi sans subir le voisinage, sans être sous le regard des autres. Habiter, c’est notamment pouvoir se soustraire au regard des autres. En termes d’urbanité, la densité renvoie à la proximité et à la densité des services : ne pas avoir à faire des kilomètres, ne pas avoir à prendre sa voiture pour déposer les enfants à l’école ou sortir le soir, accéder aisément aux services de santé, aux commerces…
La densité, c’est du qualitatif. Ce n’est pas un simple ratio. Bien sûr qu’on a des chiffres, des nombres d’habitants à l’hectare, mais on ne peut pas raisonner là-dessus : cela voudrait dire qu’on applique des solutions uniformes. Or il y a plusieurs moyens d’arriver à une densité « réussie ». Avec 100  logements à l’hectare, on peut avoir soit de l’individuel dense, accolé, c’est-à-dire des maisons mitoyennes, soit du petit collectif. Donc des formes urbaines différentes pour un même ratio.

Prenons une idée reçue : on entend dire que les grands ensembles sont denses. Ils manqueraient plutôt de densité en termes de services et d’équipements. Mais ils renvoient à des stéréotypes de densité non acceptés : la barre, la tour, la concentration d’habitants… Mais ces secteurs ne sont pas très denses par rapport à la ville constituée, aux centres-villes. En termes de mètres carrés construits par rapport au terrain, les grands ensembles sont deux fois moins denses que les centres historiques. Voilà donc un élément de définition supplémentaire : la densité suppose aussi de la mixité. Une ville dense offre plusieurs catégories de fonctions : habitat, équipements, infrastructures, événements et services.

En quoi est-il important de prendre en compte les limites entre l’intérieur et l’extérieur dans l’habitat dense ?

Tout ce qui contribue à fabriquer de la transition est important : des petites choses qui n’ont l’air de rien mais qui permettent d’habiter. On n’habite pas qu’un logement, mais aussi un palier, un jardin, un quartier, une ville. Les enchaînements, les passages, les scansions entre les espaces jouent un rôle fort dans la manière dont nous fabriquons notre intimité, notre identité. Entre la rue et chez moi, il se passe beaucoup de choses. Si cette transition est agréable à vivre, je vais accepter d’être au dehors confronté aux autres et aux flux de la ville. Ces éléments de transition, ces limites entre intérieur et extérieur me protègent, font écran dans un sens ; mais à l’inverse ils me préparent à sortir, à entrer en relation dans la ville. Il faut donc travailler ces espaces de transition pour faire en sorte qu’on habite les uns et les autres en bonne intelligence, ensemble, qu’on accepte de partager des espaces.

Quels exemples intéressants de densité peut-on donner ?

Dans le principe, c’est toujours réussi quand tout n’est pas donné à voir. J’aime la figure intemporelle de la ville profonde : il faut se représenter un îlot avec à la fois sur la rue un bâtiment collectif, un immeuble dans un contexte urbain dense, et derrière quelque chose d’autre, de plus individuel, de l’ordre de la maison. Ce type de situation offre plusieurs manières d’habiter. Je suis séduit par les bâtiments qui donnent de la variété, qui offrent plusieurs scénarios. Là encore les espaces de transition sont essentiels : j’aime ainsi les situations où, avant d’arriver chez soi, on voyage : on prend une coursive, un escalier, on passe devant le jardin d’un voisin, devant sa haie, ses bambous ou sa grille… J’aime aussi l’idée d’habiter sur les toits ou autour d’une cour : la cour, c’est l’espace du partage, l’espace commun. Là encore, les transitions sont importantes : pour y arriver, on passe sous un porche, la lumière et l’ambiance sonore changent…

Et quels contre-exemples ?

A l’inverse, ce qui est insupportable, c’est la concentration et l’exhibition de l’anonymat. Comme dans Play Time, le film de Jacques Tati, où l’on voit les gens donner en spectacle leur vie quotidienne. Mais il n’empêche, on peut aimer avoir des grandes baies vitrées, de la hauteur, de la lumière et de la vue mais cela nécessite en retour une intelligence du dispositif architectural  pour que l’aspiration à l’intimité des habitants soit respectée.
Un autre exemple : à l’occasion d’entretiens menés avec des habitants pour l’exposition Vu de l’intérieur 1945 – 2010, Habiter un immeuble en Ile-de-France nous avons constaté que beaucoup de gens vivent… volets fermés ! C’est une réalité : nous pensons le logement avec la fenêtre lumineuse, ouverte, mais des habitants ferment les volets, pour des questions d’intimité, au lieu de mettre des rideaux par exemple.

Cette préservation de l’intimité reste donc le point clé ?

Les Français ont une aspiration contradictoire : ils veulent être chez eux, avec le modèle suprême, indépassable, de la maison individuelle ; et dans le même temps ils veulent accéder facilement à tous les services. C’est là où on marche sur la tête : ce modèle là n’est pas durable ! Par contre, l’aspiration à l’individualité dans l’habitat n’est pas négociable pour la plupart des gens. Il faut donc trouver les formes architecturales, urbaines, qui permettent de concilier cela avec la densité de la ville, de ses services, de ses fonctions.
Les architectes ont à trouver des images positives de la densité. Il faut surtout insister sur le fait que l’habitat dense offre de la variété, tordre le cou aux stéréotypes : l’habitat dense, ce n’est pas forcément la répétitivité ou l’uniformité.
Il faut aussi montrer des exemples d’habitat dense qui permettent d’imaginer les transformations futures de cet habitat. C’est essentiel car le fantasme de la maison individuelle intègre l’idée qu’on pourra la transformer ou l’étendre à l’avenir : je vais trouver quelques mètres carrés dans mon grenier, changer la fonction d’un garage… Il faut donc montrer que transformation et agrandissement sont possibles dans l’habitat individuel dense, qu’il suit l’évolution de la vie, de la structure familiale.

Comment travailler la densité sur l’existant, par exemple sur les lotissements en périphérie des villes ?

Il y a un processus naturel de construction de la ville : dans les grandes villes, il y a eu de petites maisons, puis progressivement des immeubles de plus en plus grands. Je ne dis pas que les lotissements d’aujourd’hui deviendront de grands immeubles. Mais on doit réfléchir le plus en amont possible, pour préserver les qualités de paysage et d’habitat de ces quartiers tout en les faisant évoluer. Or, ces lotissements sont souvent figés dans des règles strictes, plus sévère parfois que le droit commun de l’urbanisme. Tellement sévères dans certains cas qu’on ne peut plus rien y faire, alors que des besoins de transformation sont avérés.
Il faut donc desserrer ces contraintes juridiques, pour redonner de la valeur à cet habitat, lui rendre un potentiel d’évolution. C’est ainsi qu’on peut imaginer l’avenir de ce type de logements ; y compris pour leur donner de la valeur à la revente, car on n’achète pas des situations figées, mais bien un habitat qu’on pourra transformer si on le souhaite.

Entretien réalisé à l’occasion des 1res Assises de l’habitat LEROY MERLIN  en 2011

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